Frédéric Jacquin, peintre, 2021
La nature en partage
Les peintures de Claire Chauvel
Le pastel gras envahit pratiquement tout l’espace de la page. Et pourtant, elle n’est pas saturée. Les branches, les amas de verdure se ramifient, se dilatent et se retrouvent pris d’une frénésie expressive qui les fait ployer vers le sol.
Des éclats de lumière viennent percer la touffeur ambiante et organisent la formation des volumes. Aucun détail ne s’arroge la direction du regard. La touche, ferme et délicate, se répète tout en se nuançant. Elle permet d’embrasser d’un même élan la composition sans que rien n’en soit dissocié. Toutes les gammes de couleurs sont convoquées et participent au festin.
Claire Chauvel aime l’humus et la mousse, le lichen, la liane qui se courbe, le tronc perclus de vieille écorce. Elle s’immerge au plus prés qui soit de ce régime grouillant et silencieux tout en maintenant la distance qui lui fait voir et accomplir le dessin. Elle est un plongeur en pleine eau qui continue de respirer l’air du ciel. Par delà la surface, elle cherche le miroitement scintillant des lumières qui s’offrent à sa vue. Elle quête ce que ce monde peut lui dire du sien et n’a d’autre réponse que ses yeux qui s’accoutument à la pénombre des sous-bois. Le tracé de sa main applique la pointe du pastel sur le papier et saisit dans l’instant la tâche imprévue, le tressaillement du hasard bienvenu. Le labeur dure le temps qu’elle se donne dans le pépiement des extravagances végétales. Claire pose les touches, caresse la feuille à la lenteur ou à la vitesse qui lui sied et s’arrête au gré d’un moment choisi.
Elle puise son inspiration dans ce contact direct avec la nature. C’est en soi une attitude classique, fondée sur une longue tradition. C’est une nouveauté pour notre époque qui redécouvre la proximité du réel avec une jubilation presque ébahie. Pour Claire, l’évidence n’a pas besoin que l’on se pose la question. Elle est éprise de son motif et développe sa pratique dans ce face à face avec le végétal.
Le vent frais du jour brutalise tendrement le feuillage. Le ciel, arqué sur une vague nuageuse, ternit ou illumine subrepticement la broussaille impénétrable. Ce n’est pas un simple prétexte pour peindre, mais un besoin presque charnel de ressentir vibrer dans son propre corps ces masses moutonnantes, dissemblables, enchevêtrées, induites d’un besoin de se nourrir de la terre pour mieux s’y épanouir. Que la peinture de Claire nous renvoie ce ressenti traduit l’intensité de son engagement.
Ses pastels et ses toiles ne décrivent pas. Ils subvertissent le visible pour n’en garder qu’une apparence chargée d’un autre accord qui est celui du sentiment rencontrant l’espace de la peinture et qu’il s’agit de traduire dans le langage des images. Le sentiment porte en lui l’émotion de l’instant vécu et son inscription sur la toile ouvre à une pensée plus vaste. L’artiste déploie son rythme fluide et mouvant comme un essaim de tâches qui s’agglomèrent sans jamais se figer. Sa pensée est source, murmure liquide baigné de soleil, décantation des couleurs en facettes imprévues et aussitôt recomposées. Souveraine qu’elle est dans leur emploi par la magie inconsciente des dons qui l’habitent. La chair de sa matière enregistre avec avidité les inclinaisons multiples de son œil. Sa vitalité, imprégnée de tous les parfums de l’action, recouvre le support.
Les compositions de Claire ont ce goût de l’inachevé permettant toutes les respirations possibles. Elles sont la promesse d’un ailleurs éclairant la surface du tableau de sa présence. Une expression jaillit qui n’a jamais la même saveur, alors que le sujet ne change pas. L’espace se découvre en perpétuelle redéfinition.
Claire ne calcule pas. Sa mathématique est d’un autre ordre. Son intuition garde la main sans s’empêcher de se nourrir aux voies du raisonnement et de la comparaison- La rigueur instinctive de Cézanne, la légèreté limpide de Marquet, le goût de Matisse pour l’expression décorative- Le vocabulaire de la peinture se dévide, remâché, réinitialisé, consommé avec gourmandise. Nous ne sommes pas dans la rupture, mais dans une continuité qui affirme paradoxalement ses capacités à dire la même chose autrement.
Avec l’apparition des dernières toiles, le travail sur le motif paraît s’éloigner. Il ne semble pas que l’artiste se soit lassée de cette pratique, mais son instinct a pu deviner ce qui risquait de se figer ou de s’amoindrir dans une redite sans autre exigence. L’appel de la forêt a cédé le pas à un autre impératif, à moins que ce fut cet appel-même qui permit cette transformation intérieure, lentement mais sûrement, comme un fruit qui mûrit et se goûte différemment.
Ce qui était à l’œuvre dans les pastels gras, à savoir une accumulation presque envahissante de matière déposée, s’épanouit dans les huiles récentes. Elles s’enfoncent dans une couverture plus croûteuse, plus arrêtée en apparence, plus pénétrante. L’image, moins agitée, se fait plus frontale, plus monumentale dans sa réception. Une impression d’immobilité résonne avec une nouvelle vibration, enfouie et vivace, burinée et cristalline. L’artiste ne cherche plus à tout retranscrire. Elle se focalise sur certains signes, des traits, des traces qui tendent à abstraire la forme initiale en la simplifiant. Les couleurs se replient parcimonieusement. Elles bruissent en mesure tout en chargeant l’une d’entre elles de dire plus explicitement cette forme soudain révélée. La lumière a pris le pouvoir. C’est elle qui impose sa lecture et sa présence. Elle décrit les signes plastiques. Elle les fait exister par infusion, par préemption complète de l’espace. Elle transforme leur signification pour mieux faire corps avec la vision de l’artiste. Elle se confond avec cette vision.
La primauté de la lumière ouvre une béance pleine de promesses dans ce dépassement des expérimentations précédentes. Il n’y a pas perte sensible ou expressive, ni fraîcheur altérée. Il y a cette toile, retravaillée longuement durant l’ été 2021 d’où perce un soleil incandescent, brûlant comme une méduse et qui accule toute la végétation dans l’angle opposé. Malgré cela, plantes et morceaux de terre se hissent à la pointe de leur possibilité physique pour jouir aussi de la lumière offerte. L’ensemble du tableau est traversé par cette poussée vivante qui bourdonne de tous ses pores. L’expressivité est tempérée par le travail sur la matière. Elle gagne en profondeur ce qui la bride dans le mouvement.
Claire s’avance dans son art avec une délectation réjouissante et communicative. Elle a l’avantage de ne rien se refuser, autant par nécessité que par goût. La sensualité se mêle à la gravité et la nature perd tout caractère anecdotique dans l’abstraction qui la représente. Gageons que la suite offre à notre contemplation de nouveaux mystères picturaux que Claire saura composer avec le même allant.
Paris, octobre 2021
Site de Frédéric Jacquin : http://www.fredericjacquin.fr/la-nature-en-partage/ 
Claire Chauvel aime l’humus et la mousse, le lichen, la liane qui se courbe, le tronc perclus de vieille écorce. Elle s’immerge au plus prés qui soit de ce régime grouillant et silencieux tout en maintenant la distance qui lui fait voir et accomplir le dessin. Elle est un plongeur en pleine eau qui continue de respirer l’air du ciel. Par delà la surface, elle cherche le miroitement scintillant des lumières qui s’offrent à sa vue. Elle quête ce que ce monde peut lui dire du sien et n’a d’autre réponse que ses yeux qui s’accoutument à la pénombre des sous-bois. Le tracé de sa main applique la pointe du pastel sur le papier et saisit dans l’instant la tâche imprévue, le tressaillement du hasard bienvenu. Le labeur dure le temps qu’elle se donne dans le pépiement des extravagances végétales. Claire pose les touches, caresse la feuille à la lenteur ou à la vitesse qui lui sied et s’arrête au gré d’un moment choisi.
Elle puise son inspiration dans ce contact direct avec la nature. C’est en soi une attitude classique, fondée sur une longue tradition. C’est une nouveauté pour notre époque qui redécouvre la proximité du réel avec une jubilation presque ébahie. Pour Claire, l’évidence n’a pas besoin que l’on se pose la question. Elle est éprise de son motif et développe sa pratique dans ce face à face avec le végétal.
Le vent frais du jour brutalise tendrement le feuillage. Le ciel, arqué sur une vague nuageuse, ternit ou illumine subrepticement la broussaille impénétrable. Ce n’est pas un simple prétexte pour peindre, mais un besoin presque charnel de ressentir vibrer dans son propre corps ces masses moutonnantes, dissemblables, enchevêtrées, induites d’un besoin de se nourrir de la terre pour mieux s’y épanouir. Que la peinture de Claire nous renvoie ce ressenti traduit l’intensité de son engagement.
Ses pastels et ses toiles ne décrivent pas. Ils subvertissent le visible pour n’en garder qu’une apparence chargée d’un autre accord qui est celui du sentiment rencontrant l’espace de la peinture et qu’il s’agit de traduire dans le langage des images. Le sentiment porte en lui l’émotion de l’instant vécu et son inscription sur la toile ouvre à une pensée plus vaste. L’artiste déploie son rythme fluide et mouvant comme un essaim de tâches qui s’agglomèrent sans jamais se figer. Sa pensée est source, murmure liquide baigné de soleil, décantation des couleurs en facettes imprévues et aussitôt recomposées. Souveraine qu’elle est dans leur emploi par la magie inconsciente des dons qui l’habitent. La chair de sa matière enregistre avec avidité les inclinaisons multiples de son œil. Sa vitalité, imprégnée de tous les parfums de l’action, recouvre le support.
Les compositions de Claire ont ce goût de l’inachevé permettant toutes les respirations possibles. Elles sont la promesse d’un ailleurs éclairant la surface du tableau de sa présence. Une expression jaillit qui n’a jamais la même saveur, alors que le sujet ne change pas. L’espace se découvre en perpétuelle redéfinition.
Claire ne calcule pas. Sa mathématique est d’un autre ordre. Son intuition garde la main sans s’empêcher de se nourrir aux voies du raisonnement et de la comparaison- La rigueur instinctive de Cézanne, la légèreté limpide de Marquet, le goût de Matisse pour l’expression décorative- Le vocabulaire de la peinture se dévide, remâché, réinitialisé, consommé avec gourmandise. Nous ne sommes pas dans la rupture, mais dans une continuité qui affirme paradoxalement ses capacités à dire la même chose autrement.
Avec l’apparition des dernières toiles, le travail sur le motif paraît s’éloigner. Il ne semble pas que l’artiste se soit lassée de cette pratique, mais son instinct a pu deviner ce qui risquait de se figer ou de s’amoindrir dans une redite sans autre exigence. L’appel de la forêt a cédé le pas à un autre impératif, à moins que ce fut cet appel-même qui permit cette transformation intérieure, lentement mais sûrement, comme un fruit qui mûrit et se goûte différemment.
Ce qui était à l’œuvre dans les pastels gras, à savoir une accumulation presque envahissante de matière déposée, s’épanouit dans les huiles récentes. Elles s’enfoncent dans une couverture plus croûteuse, plus arrêtée en apparence, plus pénétrante. L’image, moins agitée, se fait plus frontale, plus monumentale dans sa réception. Une impression d’immobilité résonne avec une nouvelle vibration, enfouie et vivace, burinée et cristalline. L’artiste ne cherche plus à tout retranscrire. Elle se focalise sur certains signes, des traits, des traces qui tendent à abstraire la forme initiale en la simplifiant. Les couleurs se replient parcimonieusement. Elles bruissent en mesure tout en chargeant l’une d’entre elles de dire plus explicitement cette forme soudain révélée. La lumière a pris le pouvoir. C’est elle qui impose sa lecture et sa présence. Elle décrit les signes plastiques. Elle les fait exister par infusion, par préemption complète de l’espace. Elle transforme leur signification pour mieux faire corps avec la vision de l’artiste. Elle se confond avec cette vision.
La primauté de la lumière ouvre une béance pleine de promesses dans ce dépassement des expérimentations précédentes. Il n’y a pas perte sensible ou expressive, ni fraîcheur altérée. Il y a cette toile, retravaillée longuement durant l’ été 2021 d’où perce un soleil incandescent, brûlant comme une méduse et qui accule toute la végétation dans l’angle opposé. Malgré cela, plantes et morceaux de terre se hissent à la pointe de leur possibilité physique pour jouir aussi de la lumière offerte. L’ensemble du tableau est traversé par cette poussée vivante qui bourdonne de tous ses pores. L’expressivité est tempérée par le travail sur la matière. Elle gagne en profondeur ce qui la bride dans le mouvement.
Claire s’avance dans son art avec une délectation réjouissante et communicative. Elle a l’avantage de ne rien se refuser, autant par nécessité que par goût. La sensualité se mêle à la gravité et la nature perd tout caractère anecdotique dans l’abstraction qui la représente. Gageons que la suite offre à notre contemplation de nouveaux mystères picturaux que Claire saura composer avec le même allant.
Paris, octobre 2021
David Bartholoméo, artiste, 2020
Claire CHAUVEL, peintre
L’aventure de Claire commence au coeur de la nature. S’immerger en son sein pour l’observer, la comprendre, la peindre sans contour. Des traits sortent de terre et s’élèvent jusqu’au ciel. Des masses s’impriment, vibrantes. Puis, Ses heures passées dehors, la nature comme atelier métamorphose sa posture de regardant en un élément immuable “d’un faire partie“. C’est une expérience de la vie des entrelignes, de ce qu’il se passe au dehors comme au dedans d’une nature vivante. Le corps de Claire s’avance, les contours s’effacent et des surfaces apparaissent. Elles ne représentent plus, elles sont. Colorées, brutes, vives, elles marquent en profondeur une présence qui fige le temps et l’espace en un endroit. Celui où s’articulent la vie, la vraie, l’atome et la molécule, la main qui, par touches, pose et recouvre le visible en le rendant flou et à la fois si présent. Une architecture prête a se faire dissoudre pour sa compréhension. Son corps s’avance toujours un peu plus. L’esprit s’éveille, s’élève, mais pas au-dessus, plutôt au-dedans. Claire peint toujours, peint encore. Elle n’a rien laissé, rien abandonné de ces heures à capter la fréquence des mouvements, la fréquence des couleurs et de la lumière. Elle n’a pas fait de rupture entre ses bosquets en masse, ses feuilles groupées dont on ne distingue plus la forme du chaque. Bien au contraire, l’artiste a assimilé, appris, reconnu ce qui compose, ce qui bouge pour le concentrer dans ses nouveaux creusets. La vibration est forte comme un magma prêt à éclore. Peut-être est-ce la maternité qui comme son ventre contenant une nouvelle vie lui permet de travailler ici, à l’atelier, dans sa grotte, cette même toile qui naît et renaît encore sous ses doigts à la fois délicats et sauvages. Claire peindrait l’élément, ce qui crée le tout, le visible et le sensitif. L’Univers à vue devient un Univers des sens, de ce quelque chose que l’on ne comprend pas mais que l’on saisi, avec son cœur, avec sa joie d’être parmi les êtres. Sa peinture pourrait être autant un morceau de peau d’humain, la macro d’un grain de sable, des entrailles d’une feuilles ou la vision d’un cosmos...Le partout du dedans jusqu’au dehors ou l’inverse, ça n’a plus d’importance. David Bartholoméo le 07.2020
Anne Clarck, journaliste, 2018
Forêt noire
Installée depuis peu en Périgord, Claire Chauvel aime à s’extraire du monde pour partir en forêt ou sur les berges d’une rivière. «Arpenter la nature, la contempler et la peindre, c’est ce que je fais dans la vie », confie-t-telle. Elle travaille le plus souvent ses toiles In situ. Son immersion dans le sentiment de la nature se transpose dans ses paysages. Elle y puise tout ce qui peut alimenter ses visions intérieures, son geste est rapide, intuitif, presque rythmique. L’artiste s’affranchie des carcans du réalisme pour se laisser guider par son intuition. La composition du tableau devient le lieu d’une expérience sensible. A la galerie 5UN7, qui lui consacre une exposition personnelle, elle présente un polyptyque de 5 tableaux réalisés en Vendée, un lendemain de tempête dans un bois de pins. Claire Chauvel module la surface de ses toiles avec le rythme des branchages et de ses enchevêtrements avec la végétation de sous-bois. Les combinaisons de tons verts, clairs et profonds, plongent le spectateur dans l’épaisseur de cette forêt à la densité sombre et inquiétante. Sur le mur d’en face, une vaste toile (6 m x 2,1 m) offre une vue sur les rives arborées d’un cours d’eau. Un peu plus loin une série de 15 petits formats font figure d’études préparatoires à la plus grande. Elle joue ici sur la répétition de mêmes motifs et alterne des toiles peintes sur site avec d’autres réalisées d’après souvenir. Il y a dans ses derniers l’expression du ressenti des émotions de l’artiste face à la nature. Le style se fait plus impressionniste, le reflet de l’eau, la lumière, les couleurs vacillent et chancèlent comme des touchent de sensation qui reviennent peu à peu en mémoire. Anne Clarck, JUNK PAGE #55, avril 2018
Marc-Henri Garcia, galeriste, 2018
MONUMENT DU DÉLUGE,
c’est par cet oxymore que nous avons choisi d’identifier la prochaine installation de Claire Chauvel au 5UN7 du 10 Mars au 07 Avril 2018. Un Oxymore, une figure de style permettant la coexistence heureuse mais néanmoins surprenante de deux concepts que tout oppose. Il s’agit en l’occurrence d’observer la capacité des forces de l’élément aquatique à instaurer une réorganisation de la nature et de ses paysages tout aussi jouissive à l’oeil du peintre que impraticable à l’exploitation humaine. (Leonard de Vinci … « L’eau est la force motrice de toute la nature. ») Quoi de plus intriguant pour un observateur fin de la nature comme Claire Chauvel que ce Monument du Déluge ! Cette force naturelle étrange, annonciatrice de la fin d’un ordre et cependant, vestige, pilier de l’organisation naissante des structures paysagères de demain. Encore nous faut-il un témoin capable de traduire cette nature inquiétante, un témoin qui sache en décrire toutes les subtiles ruptures ! C’est au travers d’une oeuvre peinte sur le motif, à la frontière du réalisme et de l’impressionnisme que Claire Chauvel transmet ses moments passés en forêt, aux abords de la Dordogne. Loin des préoccupations Data-istes de ce début de siècle, elle étudie sans relâche les limites de la représentation paysagère ; une quête menée sur le fil. Une sorte de lien direct vers le ressenti puissant et disruptif perçu par la plasticienne dans la Nature. Au milieu d’une clairière, au fond d’une vallée, elle établit son observatoire discret. Le geste est réduit à sa forme essentielle tandis que les couleurs regorgent de lumières chatoyantes et de pointes acides. Il y a chez Claire Chauvel une volonté de sincérité dans la captation, une volonté qui se transmet à l’observateur par la subtile radicalité des choix opérés dans la représentation. Figure atypique de la peinture contemporaine, diplômée d’art plastique à la Sorbonne, Claire Chauvel est à mon sens la digne héritière de la peinture paysagère Édéniste. Elle poursuit paradoxalement la recherche d’espace végétal peu, voire pas du tout, domestique dans un monde de plus en plus urbanisé. Elle se positionne presque comme une figure prophétique à l’aube de grands changements climatiques. Claire Chauvel annonce fièrement le retour du Sauvage. Sa pâte laisse percevoir les tourments chères à Courbet, Monet, Cézanne, Derain. Cependant elle sait aussi parfaitement réinventer le genre, elle synthétise en réduisant sa représentation à des formes et des couleurs brutales essentiellement expressives, s’inscrivant ainsi dans le monde de l’art le plus contemporain avec l’élégance d’une peinture qui n’est pas sans rappeler celle d’Alex Katz lors de son exposition « New Landscape » chez Thaddaeus Ropac en 2016. Communiqué de Presse de Marc-Henri Garcia, Galerie 5UN7, février 2018
Interview Ultrashop, 2018
Dominique Husson, peintre, 2016
Le ciel de Claire Chauvel
La première rencontre avec un être est souvent primordiale car n’interagit que ce que dégage l’être, son fluide, et nulle autre considération transmise par le cerveau et souspesée par la balance de nos hémisphères calculateurs. Mon premier contact avec Claire Chauvel a été une évidence car il est rare de trouver une personne non paralysée par son labyrinthe intérieur, cela passe par le regard, l’expression, le corps. Pas d’analyse dans sa façon de voir, avec elle la profession de psychothérapeute tomberait vite en désuétude. Peu de temps après j’ai eu la chance d’aller à son atelier, chez elle le ciel est à l’intérieur de son être. Très rare. Entre nous je peux vous l’avouer, la personne tenant cette plume ayant eu longtemps sa « substance » un peu prisonnière d’une cage de plexiglas, Claire Chauvel est libre, d’une liberté à en faire pâlir plus d’un et d’une ! Et son pinceau a cette fluidité. Autour du petit village où elle habite elle part sur le motif avec son « chevalet de plein air », comme les grands ainés du 19è siècle. Arbres, paysages, sous-bois…glissent de sa main sur la toile ou le papier avec une grande immédiateté. Mais, ne nous y trompons pas, ce qui l’anime n’est pas de retranscrire littéralement ce qui s’offre à sa vue, mais de nous offrir un petit coin d’azur de son ciel intérieur, une sorte de petit don ; le chi n’est surement pas loin car un état d’harmonie semble la traverser. - Ce qui est en jeu dans une oeuvre d’art n’est pas ce que généralement l’artiste sue à vouloir imprimer (à celle-ci) mais plus ce qui lui échappe et qui passe à son insu. Les intentions font de très mauvais tableaux - Sa peinture aussi fine qu’un voile vibre par cette lumière si légère, enveloppante et les motifs sont traités par ce geste qui lui est propre : elliptique, rapide, ponctué de raccourcis, suggérant… comme si elle cherchait à capter le mouvement de la vie au travers de la végétation. On pourrait lui trouver trois notables ascendants : Le « dernier » Cézanne, sensation à l’état pur, portée par cette élévation, de l’allégement – un certain état intérieur. La peinture sino-japonaise à l’encre qui saisit ! (en évitant tout le bavardage) Et enfin la lumière de Geneviève Asse qui ne voit, elle, le ciel qu’au travers des vitres de la verrière de son atelier. Mais, Claire Chauvel a besoin du contact pour nous le transmettre. Peindre est une nature et cette artiste nous l’offre. Dominique HUSSON (peintre), le 21.09.2016
Anne Malherbe, critique d'art, 2015
Claire Chauvel, fragments d’un paysage
Il existe une pratique du paysage en France, dans laquelle on distingue, selon les cas, une fascination pour certains lieux, le désir d’une relation avec la nature, la volonté de transcrire un territoire et en même temps d’y comprendre sa propre présence. On peut par exemple évoquer les noms de Jeremy Liron ou de François Génot. Ni simple enregistrement objectif ni pure quête intérieure, mais tresser l’un et l’autre étroitement ensemble : telle est la peinture de Claire Chauvel. De l’atelier de l’artiste, installé en pleine campagne, près de massifs montagneux, sort quantité de vues. En réalité, « vues » n’est pas le terme juste. Ces peintures sont chacune un fragment pris à un ensemble qu’on n’embrassera jamais. Perçus de très près, parfois d’un peu plus loin dans la tentative d’en cerner une zone autonome, ces morceaux de nature ne sont pas à proprement parler des « paysages », au sens de ce qui s’offre à la circonspection du regard. On ne pourrait pas non plus employer ce terme pour la grande installation — Immersion — que Claire Chauvel a récemment présentée au Centre d’art contemporain de Lacoux. Le paysage implique en effet une profondeur, le sentiment qu’on peut y avancer, ce qui est rarement le cas ici. La nature est perçue par masses. Immersion se présente presque comme une coupe : ici, le paysage se construit pas à pas, cartographié à l’échelle 1, mesuré en même temps que représenté. La lumière ne modèle pas ici le paysage, qui ne se construit pas selon un plan établi au préalable, mais par la distribution interne de couleurs. On peut d’ailleurs discerner dans cette pratique le lignage de Cézanne. Certaines zones se renfoncent dans leur propre obscurité tandis que d’autres s’avancent, fortes de leurs couleurs claires. On peut remarquer à quel point le ciel et le sol sont lisses, sans aspérité : ils s’abstraient ainsi des particularités du lieu et servent en quelque sorte de fond neutre destiné à recevoir les pulsations végétales notées, elles, d’une touche plus véhémente. Les rochers, dans leur absence de pittoresque, tiennent alors lieu de balises. Pourtant, ce fond (nocturne quand le paysage se resserre, diurne quand il s’ouvre) passe souvent devant le motif végétal comme un rideau. La matière bleue, débordant sur ce qui devrait être un premier plan d’herbages, crée l’incertitude sur ce qu’on voit : anfractuosités, fourrés, trouées, ciel ou lacs ? ou peinture pure ? L’objet de la vision ne peut plus être catégorisé par le cerveau. C’est à des sens plus primordiaux qu’il est fait appel. La difficulté à saisir définitivement l’image et le mystère de la nature nourrissent la quête picturale. C’est la recherche d’un rythme qui permet de créer finalement un lien avec la nature, lorsque la pensée se dissout. L’artiste traque donc quelque chose comme un battement fondamental, à travers une touche rarement sereine, cherchant sans relâche à dégager le paysage de tout ce qui le masque. Mais la quête est infinie : un angle-mort, à chaque fois, subsiste, exigeant la poursuite de la territorialisation, autant intérieure qu’extérieure. Anne Malherbe, critique d'art et historienne de l'art, septembre 2015
Cécile Bourgoin-Odic, commissaire, 2013
S’intéressant au paysage comme lieu de la représentation par excellence, Claire Chauvel peint de grands tableaux, conçus comme des décors de théâtre et dans lesquels elle développe sa recherche sur l’ambiguïté des images : elle joue avec les différents plans, les sources de lumières (artificielles et naturelles), les couleurs, le plus souvent irréelles.
Elle poursuit actuellement un travail axé sur le dessin. « Fonctionnant en carnet », comme elle le dit, elle fait des croquis d’après nature, sur lesquels elle revient constamment. Elle utilise toutes sortes de feutres et de stylos noirs, qu’elle fait fuser d’une page à l’autre. A partir des tâches colorées ainsi obtenues, elle compose sans cesse de nouvelles images.
Dans l’exposition «La réplique des images», elle nous présente « Praha ». Dans cette série, les dessins au marqueur et au stylo bille du carnet ont été agrandis, imprimés puis totalement retravaillés. Les pistes se brouillent : on ne distingue plus le croquis initial de ses retouches. Elle ajoute des motifs puisés dans s d’autres lieux. Faisant disparaître des éléments, confondant les plans, elle organise un nouvel espace totalement inventé.
En contre point, une petite installation met en scène trois petits dessins de la série « le double ». Il s’agit de petites pages du carnet de croquis au feutre noir dont les encres diluées au fixatif ont traversé la page. Sur l’envers, partant des douces nuances de bleu, de vert, et de violet des encres décomposées, Claire invente de nouveaux territoires flous et fantomatiques, une autre réalité.
Cécile Bourgoin-Odic, commissaire de l’exposition « La réplique des images », février 2013
Enrico Castronovo, philosophe, 2012
Il faut entrer dans les dessins de Claire Chauvel avec la soumission passive et la disponibilité à l’émerveillement requises pour entrer dans le souvenir. Il faut accepter de se laisser embarquer vers l’autre rive pour voir surgir une réalité insoupçonnée à partir d’une tâche d’encre ou d’un trait de marqueur.
Il faut avoir le regard qui perce, comme les acides et les encres percent le support martyrisé – sanctifié – pour avoir accès à la couche de signification secrète que les images de Claire Chauvel referment dans leurs écrins transparents.
Des coulures d’encre, des dissolutions du papier, le support et le matériel se crispent presque sous nos yeux. La responsabilité de l’artiste s’efface, laissant le champ ouvert à d’inquiétantes batailles chimiques. Le résultat de ces exsudations laborieuses : des tableaux étrangement vivants à l’allure minérale, que l’on soupçonnerait volontiers non-faits-de-main-d’homme.
Et pourtant, tout l’imaginaire de Claire Chauvel est là en filigrane. Le paysage urbain peu à peu corrodé par une nature malveillante et, surtout, la figure humaine à peine reconnaissable, saisie dans l’éclat de son paradoxe, à la lisière entre sa divine singularité et son effacement consentant dans l’indistinction ambiante.
Il y a aussi cette idée de frustration scopique avec laquelle Claire Chauvel aime jouer, comme elle ferait un croche-patte au visiteur de son exposition. Mais un croche-patte qui serait aussi un appel du pied, invitant le voyant frustré à chercher plus loin, à suivre le fil qui va le sortir indemne de ce labyrinthe de la vision.
C’est à un véritable exercice critique que nous invite l’artiste, elle nous pousse – gentiment – à voir la réalité seconde cachée dans les apparences évidentes, à choisir ce que nous souhaitons voir dans la carte des possibilités iconiques, à nous déplacer autour de son dispositif artistique pour trouver le sens, pour trouver notre place de spectateurs actifs. Comme pour affirmer, une fois de plus, que l’art est dans le regard de celui qui le cherche.
Enrico Castronovo, critique d’art et critique littéraire, août 2012