Dessins de claire chauvel

Enrico Castronovo, philosophe, 2012

Il faut entrer dans les dessins de Claire Chauvel avec la soumission passive et la disponibilité à l’émerveillement requises pour entrer dans le souvenir. Il faut accepter de se laisser embarquer vers l’autre rive pour voir surgir une réalité insoupçonnée à partir d’une tâche d’encre ou d’un trait de marqueur. Il faut avoir le regard qui perce, comme les acides et les encres percent le support martyrisé – sanctifié – pour avoir accès à la couche de signification secrète que les images de Claire Chauvel referment dans leurs écrins transparents.

Des coulures d’encre, des dissolutions du papier, le support et le matériel se crispent presque sous nos yeux. La responsabilité de l’artiste s’efface, laissant le champ ouvert à d’inquiétantes batailles chimiques. Le résultat de ces exsudations laborieuses : des tableaux étrangement vivants à l’allure minérale, que l’on soupçonnerait volontiers non-faits-de-main-d’homme.

Et pourtant, tout l’imaginaire de Claire Chauvel est là en filigrane. Le paysage urbain peu à peu corrodé par une nature malveillante et, surtout, la figure humaine à peine reconnaissable, saisie dans l’éclat de son paradoxe, à la lisière entre sa divine singularité et son effacement consentant dans l’indistinction ambiante.

Il y a aussi cette idée de frustration scopique avec laquelle Claire Chauvel aime jouer, comme elle ferait un croche-patte au visiteur de son exposition. Mais un croche-patte qui serait aussi un appel du pied, invitant le voyant frustré à chercher plus loin, à suivre le fil qui va le sortir indemne de ce labyrinthe de la vision.

C’est à un véritable exercice critique que nous invite l’artiste, elle nous pousse – gentiment – à voir la réalité seconde cachée dans les apparences évidentes, à choisir ce que nous souhaitons voir dans la carte des possibilités iconiques, à nous déplacer autour de son dispositif artistique pour trouver le sens, pour trouver notre place de spectateurs actifs. Comme pour affirmer, une fois de plus, que l’art est dans le regard de celui qui le cherche.

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